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Le règne de la poutine en boîte au dépens de l’autosuffisance et de l’autonomie alimentaire

Avec la révolution industrielle puis la révolution verte d’après la seconde guerre mondiale, nous nous sommes habitué à avoir une offre très diversifiée de nourriture toute prête. Au Canada 50 % de l’apport énergétique alimentaire provient d’aliments ultra-transformés; en 10 ans l’indice du prix des aliments a augmenté de 26 % contre 14 % pour les biens et services (1). Néanmoins combien d’entre nous savent comment produire et d’où proviennent les aliments que nous mangeons ?

Les chaînes d’approvisionnement se sont développés avec une finalité financière et non plus nourricière. Une des conséquences c’est que notre système alimentaire est mondialisé et repose sur une logistique gigantesque, ce qui implique que la majorité de nos aliments parcourent des milliers de kilomètres avant d’arriver dans notre cuisine (2a, b). Notre addiction à ce système a principalement deux défauts, si les réseaux de transports venaient à s’arrêter, combien de temps pourrions-nous manger? Et deuxièmement ce modèle de production est dépendant des énergies fossiles.
L’autonomie alimentaire peut se définir comme la capacité de nous approvisionner localement pour se nourrir, en tant que société nous devons l’envisager à l’échelle de notre territoire. L’autosuffisance est la capacité à produire ce dont on a besoin pour se nourrir individuellement sans dépendre d’autrui pour cela. Nous débuterons notre réflexion en présentant des moyens pour accéder à l’autosuffisance, puis nous discuterons des possibilités d’organiser l’autonomie alimentaire de nos territoires. Tout au long du texte, nous adresserons les enjeux et paradoxes associés au déploiement de l’autonomie et de l’autosuffisance alimentaire.

Vivre dans un monde aux ressources finies

Nous sommes de plus en plus à rêver d’habiter dans un milieu qui nous permettrait de produire la nourriture que nous consommons quotidiennement. Dans la société dans laquelle nous vivons, ce rêve a d’abord un prix, celui de pouvoir accéder à la propriété et à suffisamment d’espace pour y installer des cultures. Ce rêve n’est donc pas accessible à la majorité des gens et si il se faisait de façon irréfléchie et disproportionnée, il contribuerait à l’étalement urbain. L’établissement de systèmes permaculturels ou agroforestiers est une perspective intéressante pour allier développement rural et conservation de la biodiversité.
Ce rêve se heurte également à des considérations plus essentielles, comme l’accès à des ressources : l’eau, une terre fertile, de l’énergie ou de devoir s’adapter au climat. Avec nos connaissances actuelles et les outils disponibles, il est facile d’imaginer son autonomie alimentaire à l’aide de grosses machineries, d’intrants de synthèse ou d’une culture en milieu contrôlée. Même le plus petit cultivateur aura besoin d’outils, de graines ou de compost pour son potager, ensuite il devra transformer puis pouvoir stocker sa nourriture pour l’année. C’est pourquoi il est nécessaire de considérer des solutions résilientes et équitables à tout point de vue, si nous souhaitons développer et faire prospérer une réelle autonomie alimentaire. En ce sens, les organismes de production mutualisées, comme les jardins collectifs ou les coopératives maraichères, représentent des avenues intéressantes.

Qu’est-ce qu’il y a au menu chef?

L’engagement vers une alimentation autosuffisante implique de repenser la place de l’humain dans l’écosystème planétaire à chaque échelle. La relation que nous entretenons avec notre monde nous a installé au sommet de la chaîne alimentaire, or la surexploitation des espèces terrestres a d’ores et déjà entrainé la sixième extinction de masse. Les pratiques permaculturelles placent l’être humain dans l’écosystème en tant que maillon de la chaîne. À l’opposé, les pratiques d’agricultures conventionnelles sont dictées par le capitalisme néolibéral, qui propulse le dualisme humain/nature à l’extrême. Soumettant ainsi la nature au service du productivisme. 
Pour repenser la place de l’humain, il faut d’abord apprendre à redéfinir nos besoins alimentaires. Ces besoins s’expriment en pratique alimentaire. Elle résulte d’aspirations diverses et variées, au croisement de principes éthiques, écologiques et sanitaires. De là, il en ressort une variété de régimes, dont quelques-uns sont apparus à l’échelle mondiale, aux cours des dernières décennies, dévoilant la pluralité des possibles. Ainsi,le végétarisme, le végétalisme voire l’alimentation vivante ont envahi nos modes de vies occidentaux. L’objectif ici, n’est pas de construire une critique exhaustive et de classer ses régimes au regard de leurs empreintes environnementales et sociales mais seulement de les définir succinctement.

Le plus pratiqué du monde occidental capitaliste est le régime omnivore. Il consiste à se nourrir de la totalité des biens consommables pour l’humain, à savoir les produits d’origines animale et végétale. Le végétarisme peut se définir par la non-consommation alimentaire de chair animale. Elle inclut d’autres produits d’origine animale comme l’œuf et le lait ainsi que leurs dérivés. Le végétalisme, quant à lui, exclut tous les produits d’origine animale pour se nourrir. Enfin l’alimentation vivante ou crudivorisme consomme uniquement des aliments crus. Au regard de cette diversité de besoins, qu’elle est la place des animaux qu’on consomme dans l’écosystème planétaire? Et comment le déploiement de l’ensemble de ces régimes peut se traduire dans une optique d’autosuffisance et d’autonomie alimentaire?

Les animaux au cœur de notre survie

L’omniprésence de l’exploitation animale à travers nos régimes omnivores module nos pratiques agricoles. À notre connaissance, elle s’applique aussi aux expériences d’autosuffisance alimentaire permacoles et d’agroforesterie. Comme c’est le cas pour la famille LeBlanc-Huot qui vit à Bathurst (Nouveau-Brunswick) en autosuffisance personnelle et communautaire ou celle de Dominique Lamontagne à Sainte-Lucie-des-Laurentides (Québec) (3). L’exploitation animale est sélectionnée pour la production de lait, fromage et œufs. Elle sert aussi pour l’aide à la terre comme l’épandage de fumier (engrais naturel), les travaux agricoles (traction animale), la régulation et l’entretien des forêts (broutage des champs), etc…

Ainsi, le rôle de l’humain dans l’écosystème planétaire est-il réellement un maillon de la chaîne? L’alchimie gratifiante entre animaux humains et non-humain, souvent évoquée, est-elle indispensable pour répondre aux besoins des populations cherchant l’autonomie alimentaire? Les pratiques omnivores sont-elles contraires au rétablissement de la biodiversité? Celles qui excluent l’exploitation animale doivent-elles actualiser les modèles autosuffisants millénaires, pour exister? Nous n’avons pas encore réponses à ces questions….
Cependant, la réduction de notre consommation de viande, y compris le poisson joue un rôle clé dans le maintien des écosystèmes planétaires. En effet, la consommation mondiale de viande a quadruplé depuis les années 1960 passant de 75 millions de tonnes à 300 millions en 2015 (4). Notre surconsommation carnée est provoquée principalement par l’accroissement des revenus et l’explosion démographique des pays industrialisés, toujours plus dépendant en énergies fossiles. Engendrant par la même la désertification et la dégradation de nos terres et nos cours d’eau (5), qui sommes toutes sont irréversibles et désormais inévitables. Ainsi, la diversification de notre assiette (6) est centrale dans la quête d’une autonomie alimentaire et d’une gestion durable de nos terres.

Nourrir les villes… sans service à l’auto

Nos villes se sont bâties pour répondre aux besoins grandissants de confort et d’organisation associés à notre société moderne. La densification de la population permet une utilisation efficiente des réseaux urbains (transports, eau, électricité, etc…) et la mutualisation à grande échelle de services essentiels (hôpitaux, écoles, commerces, etc…). Ce modèle laisse peu d’espace pour la production alimentaire en ses murs. Même s’il existe toutes sortes de moyens pour mettre en place de l’agriculture urbaine (serres, jardins potagers ou production hors-sol), même les villes les plus avancées n’arrivent qu’à produire la moitié de leur nourriture (7).
L’autosuffisance alimentaire des villes doit nécessairement être reliée au territoire qui l’entoure. De fait on devrait plutôt parler de territoire autonome, avec des zones agricoles et des réseaux de distributions en circuit court. Il est intéressant de réaliser ici que, historiquement c’est ce mode d’approvisionnement qui était utilisé et qu’il s’est progressivement effacé au profit d’une consommation de masse dictée par la loi des marchés. Or en redéfinissant le rôle des agriculteurs et agricultrices comme central pour l’accès à l’alimentation, il doit se recréer un lien solidaire avec les mangeurs, par exemple comme l’achat de paniers maraîchers hebdomadaires ou à des marché de producteurs.

Un territoire autonome doit développer un système de production autonome et résilient, c’est-à-dire qu’il doit adopter des pratiques agricoles adéquates. Le modèle agricole actuel s’appuie sur l’utilisation de grosses machines, d’intrants chimiques (engrais et les pesticides), et présente peu de diversité, ceci créé une dépendance accrue aux industries connexes. Il est nécessaire d’établir un modèle qui doit permettre aux populations de subvenir par elles-mêmes, en réinvestissant humainement le système agricole et de renforcer le rôle des écosystèmes pour l’établissement de cultures pérennes. Même les lois doivent cesser de faire perdurer la destruction de la biodiversité en freinant dès la semence, la naissance du vivant (8).
Cette transformation doit également se répercuter sur les mangeurs car si nous continuons à vouloir manger des fraises toute l’année, nous nous créons une dépendance avec d’autres régions du monde. Il est impératif que nous adaptions notre régime alimentaire avec l’environnement dans lequel nous vivons. Cela passe par savoir profiter de certains produits frais au plus proche de leurs récoltes et surtout de se réapproprier les techniques pour la conservation de ceux-ci.
La transformation de notre alimentation est souvent une étape qui est négligée au détriment d’acheter de la nourriture toute prête ultra-transformée. Or la transformation est essentielle pour s’assurer de manger une nourriture saine et de minimiser sa génération de déchets. Cette étape requiert en premier des connaissances ou un savoir-faire qui n’est généralement pas instruit à l’école, et deuxièmement du temps car entre ouvrir un sac de chips et se faire des frites maison il y a au moins une heure de différence. L’autonomie alimentaire ne se définit alors plus seulement par la capacité de faire pousser ou se procurer sa pomme de terre mais aussi d’aller jusqu’à la transformer en frites.

Le jardin des possibles

Comment imaginons-nous les villes nourricières d’aujourd’hui? Les espaces verts coincés entre les tours de béton occupent principalement une place récréative pour le bien-être des citadins. La transformation de ces espaces dans une perspective nourricière est souvent portée par le besoin d’émancipation des communautés. Des initiatives encore marginales à ce jour germent spontanément dans toute la province, ces projets à portée de tous nécessitent un investissement minimum pour une rentabilité maximum. Un maillage a commencé à se tisser à Québec. Le programme des fermiers de famille et le marché de proximité sont deux entités structurantes du réseau qui relie les mangeurs des villes avec les cueilleurs des champs. La responsabilisation des consommateurs sur les enjeux de l’autonomie alimentaire doit favoriser l’expansion de ce système. La solidarité et modularité des différents acteurs entre eux définiront la pérennité de ce tissu (9).  Québec a besoin de grands projets nourriciers tels que pourrait l’être la création d’une coopérative maraichère sur les terres des sœurs de la charité, d’ores et déjà vendue à des intérêts privés avec l’accord des autorités. Les plaines d’Abraham, le parc Victoria, le boulevard Champlain et certains espaces urbains abandonnés, sont d’autres lieux qui restent à conquérir pour implanter une agriculture de proximité.

Le collectif des décroissants de Québec


(1) Déclaration pour le droit à une saine alimentation au Québec: Se nourrir est essentiel, comme respirer et boire, 2018, repéré à http://droitsainealimentation.org/la-declaration/

(2a) Vers la résilience alimentaire: Faire face aux menaces globales à l’échelle des territoires, LesGreniers d’Abondance, février 2020, repéré à https://resiliencealimentaire.org/

(2b) Qu’est-ce qu’un système alimentaire?, Felix Lallemand, 10 janvier 2019, repéré à  https://resiliencealimentaire.org/quest-ce-quun-systeme-alimentaire/

(3) Semaine verte: vivre en autonomie alimentaire, Radio Canada, repéré à https://ici.radio-canada.ca/tele/la-semaine-verte/site/segments/reportage/166787/covid-19-autonomie-alimentaire?isAutoPlay=1

(4) La consommation de viande menace la planète, Alexandre Shields, 17 août 2015, repéré àhttps://www.ledevoir.com/societe/environnement/447718/consommation-de-viande

(5) Un rapport spécial du GIEC : l’humanité épuise les terres, Pierre Le Hir, 08 août 2019, repéré à https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/08/08/l-humanite-epuise-les-terres-selon-le-dernier-rapport-du-giec_5497654_3244.html

(6) Nouveau Guide alimentaire canadien: adieu portions, place aux proportions, Daphné Cameron, 22 janvier 2019, repéré à https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201901/22/01-5211916-nouveau-guide-alimentaire-canadien-adieu-portions-place-aux-proportions.php

(7) Après l’Effondrement, épisode 1: l’urbain ou rural et l’épisode 2: l’habitat après l’effondrement, 2019, repéré à https://www.youtube.com/c/Apr%C3%A8slEffondrement/videos

(8) La guerre des graines, Clément Montfort et Stenka Quillet, 2014, repéré à https://www.imagotv.fr/documentaires/la-guerre-des-graines

(9) Ramaillages, Moïse Marcoux-chabot, 2020, épisode 1: territoire et épisode 2: semences, repéré à https://www.onf.ca/cineastes/moise-marcoux-chabot/

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